Le temps d’un instant
Il y a des jours comme cela où l’on sent qu’il va se passer quelque chose de spécial. C’est le 23 mars 2017, une perturbation vient de poser en fond de chaine 40 cm de neige fraiche. En permanence à l’affût des bonnes conditions, mon ami Peio m’appelle la veille : « mec, il y a créneau demain matin, t’es chaud ?» Oui, je suis chaud, et j’ai la chance de me libérer pour ne pas manquer une journée de snowboard avec ces conditions. Partir en montagne avec Peio est synonyme de poudreuse, bons moments entre amis et photos. Obnubilé par les gerbes de poudreuse, il est en quête de la plus nette et du meilleur contraste ! Nous sommes tous les deux ce jour là, et notre motivation a pour récompense d’être les premiers sur le plateau d’Anéou. Voir cette étendue si fréquentée habituellement vierge de toute trace est un réel privilège. Effectivement, les 40 sont bien là, plus un rocher ne dépasse, tout est blanc, reposé, immaculé.
En route vers le sommet !
Nous nous dirigeons vers le Pic d’Anéou, il fait froid et les nuages se déchirent. Les rayons de soleil et quelques fragments d’un ciel bleu intense apparaissent. Dès le pied de la pente, nous devons nous espacer par précaution, le fond est dur et il y a eu du vent. En effet ce dernier souffle encore et nous oblige à monter avec toutes nos couches de vêtements. Après le premier ressaut, Peio sort son Nikon et prend quelques clichés de montée entre les blocs. L’ambiance est belle et le soleil encore bas en cette saison crée des jeux d’ombre sur les reliefs. Nous observons notre objectif afin d’imaginer quelques lignes, le spot est magnifique depuis le sommet. D’abord étroit et exposé, il longe les parois rocheuses du Cuyalaret, esthétiques et photogéniques. Aujourd’hui est propice à de belles images, Peio vise toujours juste, quant à moi, c’est plus aléatoire. Je vais devoir tout donner, ou improviser, ou calculer le run et chaque virage. J’ai encore un peu de temps avant de paniquer. En attendant, Peio reprend la trace vers le col de la Pène de la Glère puis nous rejoignons la crête. Longer cette arête avec autant de neige mêle un sentiment d’insécurité et de grand bonheur. Celui d’être là, et pour les minutes à venir. La crête se redresse 50 m avant le sommet et ce passage nécessite de déchausser les skis.
Et la lumière fut, ou pas ?
Le temps de se préparer, un nuage apparaît et le soleil disparait… Plus de lumière, plus de visibilité, il va être compliqué d’atteindre le Pic. Comme souvent, Peio sort son sempiternel « t’inquiète, ça va se lever dans 5 minutes ! » Pourtant, nous décidons de descendre directement dans la face et d’oublier le sommet et la ligne imaginée plus bas. Trop de neige et aucune visibilité, la journée photo prend une tournure de fiasco. A moins qu’il ait raison et que la fenêtre s’ouvre. Pour ne pas rayer la face, Peio reprend la trace de montée et s’élance dans une neige de rêve. En quelques courbes il disparait dans la combe et réapparait sur un promontoire, au pied de la face. Pendant ce temps, je patiente et commence à avoir sérieusement froid. Les fixations serrées, je me tiens prêt à bondir depuis la plate forme inconfortable. Malgré la carre plantée dans la neige, l’équilibre précaire m’empêche de remuer pour me réchauffer. Quelques minutes plus tard, quatre skieurs arrivent à mon niveau. Nous nous saluons et discutons de ma situation qui tourne rapidement à la dérision et occasionne des éclats de rire.
BON LÀ IL FAUT Y ALLER !
Au bout de 20 minutes, le nuage cache toujours le soleil, le groupe qui attend le drop ne rit plus. Comme c’est tournée générale d’onglet, ils attendent mon départ, car arrivé en premier, c’est à moi que revient la primeur de la trace. Comme je regarde en bas, je vois le petit point de mon ami qui a l’air de s’agiter. Bon et bien il faut y aller, pas de lumière, mais la ligne sera quand même excellente. Je prends une grande inspiration et me lance. La neige est profonde, le fond est dur et il y a de la pente, alors je pars droit pour éviter de déclencher une coulée dès le départ. A pleine vitesse dans ce jour blanc, je me fais secouer dans le premier virage, les muscles des jambes complètements engourdis, j’ai l’impression de ne rien maîtriser, je subis un peu la situation. Je ne pense plus du tout à la photo que nous rêvions de faire. Ma pensée se concentre sur tout ce qu’il se passe sous la semelle de la planche, puis remonte aux boots, aux pieds, et ainsi je reprends contrôle de mon corps. Ca va beaucoup mieux ! Je rejoins mon compère, heureux de la ligne effectuée, et un peu frustré de ne pas lui avoir offert un beau virage en pleine lumière.
Jusqu’au dernier virage
Alors que nous passons la zone de replat, nous arrivons au dessus de la dernière pente, de forme ondulée et voluptueuse. Cette marche en neige profonde m’a bien réchauffé et je songe au final qui s’annonce sympa ! Alors que je chausse le splitboard, Peio me demande de rester là. Son air évasif, teinté d’assurance me laisse perplexe. Il a du talent et seul un œil expérimenté peut déceler une scène, mais je ne vois pas du tout ce qu’il a en tête. Je m’exécute et le regarde dessiner quelques virages dans cette neige si légère. Il s’installe, et habitué au rituel, j’attends la lumière. Le nuage est encore là et lorsqu’il s’entrouvre, un rayon apparaît. Comme il me l’a demandé, j’appuie les courbes de façon à lever une belle gerbe. J’ai l’impression de me trainer, et m’applique à pousser sur le talon court et étroit de la Landlord. C’est la forme spécifique des planches dessinées pour flotter en poudreuse. Peu convaincu du résultat, mais heureux des sensations ressenties, je retrouve Peio qui affiche un large sourire. « Pas mal » me dit-il, « je crois que l’on a quelque chose ».
JB